Le néolibéralisme est un terme souvent utilisé en des sens différents : on parle de « politique » néolibérale, « d’économie » néolibérale, de « théories » néolibérales, etc. Le néolibéralisme constitue-t-il le point de commun de toutes ces dimensions ou devons-nous privilégier une approche seulement de toutes celles communément admises ? Nous allons voir qu’il y a deux grandes approches du terme qui s’attachent, chacune, à mettre en lumière certains traits des sociétés actuelles.
Une analyse marxiste s’appuie toujours sur les structures concrètes de l’économie et du pouvoir. Ainsi, si l’on regarde nos sociétés occidentales depuis les 50 dernières années, avec un point de vue marxiste, que constate-t-on ? Premièrement, on constate une « alliance » du pouvoir politique avec le pouvoir économique ; plus exactement, une domination de plus en plus totale du premier par le second. Deuxièmement, on constate une augmentation tendancielle et irréfutable des inégalités économiques dans nos pays depuis les années 70, minimum historique de celles-ci. Troisièmement, on constate que l’économie dicte progressivement ses logiques de marché à l’ensemble des dimensions de la société : les administrations publiques en viennent à être gérées comme des entreprises, certains politiques parle de « gérer » l’Etat comme une entreprise, on parle de « marché » du social, de l’éducation, du dating (des rencontres sentimentales), etc. A travers ces ensembles de faits, on constate d’une façon générale un mouvement historique, une évolution cohérente et continue de la société depuis 50 ans : celle d’une économisation de la société et d’une augmentation de la puissance du pouvoir économique et donc de l’exploitation et de la domination qu’elle induit.
L’approche marxiste est donc une approche historique, qui repose sur une constatation des mécanismes structurels de nos sociétés depuis les années 70. Ce point de vue met en lumière un événement historique : la contre-révolution néolibérale des années 80, ou Révolution conservatrice. Initiée par Reagan et Thatcher aux USA et au Royaume-Uni, elle est tout d’abord expérimentée dans le Chili de Pinochet par une délégation d’économistes mandatés par les Etats-Unis, dont fait partie le prix Nobel Friedrich Hayek. On peut retracer toute l’histoire de ces manœuvres politiques très précisément : dates, meetings, entrevues en haut lieu, décisions politiques, lois parlementaires, etc. tout est connu dans le détail. L’objectif est simple : libéraliser totalement l’économie. Les politiques mises en œuvre reposent sur les travaux des économistes libéraux américains des années 50-60 (les « autrichiens » Hayek, von Mises, etc., et l’école de Chicago dans la lignée de Friedman avec les prix Nobels Becker, Stigler, Lucas, Coase) eux-mêmes inspirés de l’ordolibéralisme allemand (Erhard, Röpke, Rüstow, etc.). Le déroulement des faits depuis les années 80 est sans appel : si l’on examine les politiques mises en œuvre dans l’ensemble des pays occidentaux, y compris en France, on relèvera un constant effort vers la libéralisation de l’économie, plus ou moins engagé. Ce sont d’abord les vagues de privatisations, qui ne cessent de rogner les services publics des pays occidentaux, puis les baissent continuelles d’impôts dans la plupart des pays, qui ne semble pourtant jamais satisfaire les entreprises, la libre circulation des capitaux bien sûr, qui ne subit aujourd’hui aucune limites, la suppression des barrières douanières, etc. Tout ceci va conduire, à l’intérieur de l’économie, à une financiarisation de celle-ci et, à l’intérieur de la société, à l’économisation de cette dernière. L’économie est dérégulée, c’est-à-dire que l’on tente d’atteindre un état de concurrence pure et totale. Il se trouve que, contrairement aux théories des économistes libéraux cités ci-dessus, cet état de concurrence généralisé a pour conséquence la création de monopoles, la concentration de la richesse et l’augmentation des inégalités, pour ne pas dire une paupérisation de la majeure partie de la société.
Bref, toute cette histoire n’est que trop bien connue et nous en voyons tous les jours encore le déroulement comme les conséquences dans nos pays. Ces faits ne sont d’ailleurs contestés par personnes, pas même par les libéraux. Pourtant, ceux-ci conteste une chose et une seule : l’emploi du terme « néolibéraux » les concertants. Pourquoi donc ne veulent-ils pas être ainsi identifiés et continuent-ils à se définir comme « libéraux » ? Avant de répondre à cette question, il faut présenter l’approche foucaldienne.
Foucault s’intéresse en 1979, dans un cours sur la politique contemporaine, aux théories des économistes libéraux américains de l’époque et aux ordolibéraux allemands. Il faut noter, avant tout, que Foucault se situe donc à une période antérieure à la mise en place des politiques néolibérales en occident ; il ne pouvait donc que difficilement voir les conséquences de ces politiques. Pourtant, Foucault va, avec un brio époustouflant et une lucidité rare, décrire les soubassements de cette pensée libérale nouvelle, ses principes, sa logique et son socle commun. Foucault étudie les choses du point de vue de la gouvernementalité, c’est-à-dire, « l’art de gouverner », ou plus précisément, les techniques et la rationalité mise en œuvre par le pouvoir des classes dirigeantes dans les sociétés. Son cours sur la « biopolitique » étudie ainsi la rationalisation des pratiques dans l’exercice de la souveraineté politique. Il commence par étudier la formation de « l’Etat » au XVIe siècle ; il y joint dès cette même période une étude les politiques économiques mises en œuvre, en l’occurrence le mercantilisme. Les grands axes du mercantilisme sont les suivants : l’Etat doit accumuler des richesses pour accroître sa puissance et pour se maintenir dans un état de concurrence permanent avec les autres puissances ; en cela, l’Etat ne recherche pas l’impérialisme, mais au contraire, simplement ses propres intérêts. Ses objectifs extérieurs sont donc limités (il en reste à ses intérêts, respectant l’existence des autres Etats), au contraire, ses objectifs intérieurs sont illimités : afin de ne pas perdre en puissance, l’Etat doit réglementer ses sujets et leurs activités, notamment économiques, afin de tout mettre en œuvre selon ses intérêts. C’est l’absolutisme bien connu de l’époque, ou « Etat de police », auquel répondront, dans le domaine de l’économie, les premières théories libérales au XVIIIe siècle, mais aussi la réflexion philosophique des Lumières et les théories juridiques, notamment celle du droit naturel, posant alors des limites au pouvoir royal.
Mais ce qui va être décisif dans l’évolution réelle des pratiques du pouvoir dans les pays occidentaux, c’est l’émergence, au milieu du XVIIIe siècle, de l’économie-politique. Celle-ci, contrairement à la réflexion philosophique ou juridique de la même période, ne se développe pas contre le pouvoir, la « raison d’Etat » dit Foucault, mais avec. Les objectifs de l’économie-politique sont en effet les mêmes que ceux des Etats de l’époque : enrichissement de l’Etat, augmentation contrôlée de la population pour soutenir sa puissance, concurrence « gagnante » entre tous les Etats. On retrouve déjà là les thèmes fondamentaux de ce qui sera le libéralisme. Mais plus encore, les principes fondateurs du libéralisme vont être posés par les recherches de l’économie-politique naissante. Tout d’abord, l’économie-politique n’interroge pas la légitimité (encore moins l’équité ou l’éthique…) des pratiques gouvernementales, mais s’intéresse simplement à ses effets. Par exemple, elle ne s’interroge pas pour savoir si l’impôt est légitime ou pas, s’il est juste ou équitablement réparti, mais cherche simplement à savoir comment le régler et l’organiser afin que ses effets soient les meilleurs possibles du point de vue des objectifs du gouvernement précédemment cités. L’économie-politique serait qualifiée aujourd’hui d’utilitariste : c’est-à-dire qu’elle s’intéresse uniquement aux moyens et non aux fins ; elle substitue la réussite à la légitimité. Les fins justement, pour l’économie-politique, sont naturelles. Dans cette pensée, la « nature » n’est pas une région réservée et originaire sur laquelle l’exercice du pouvoir ne devrait pas avoir prise (comme le prétend la philosophie des Lumières en invoquant le concept de « droits humains fondamentaux », ou de principes éthiques comme la « justice » ou « la dignité humaine » fondés sur la raison). Au contraire, il y a une nature propre aux objets de l’action gouvernementale, propre à la pratique du pouvoir elle-même. L’Etat et les objectifs du pouvoir sont naturalisés. Or, s’il y a une nature propre à l’exercice du gouvernement, il y a donc une rationalité unique et une unique « vraie » théorie à son propos. Ainsi, l’économie-politique se présente (tout comme le libéralisme actuel) comme la seule manière de gouverner efficacement.
Autre élément fondamental au libéralisme posé par l’économie-politique du XVIIIe : le principe d’autolimitation la rationalité gouvernementale. Alors que la réflexion philosophique et juridique limite le pouvoir par « l’extérieur », par des principes qui sont en dehors de la raison d’Etat, l’économie-politique construit un principe de limitation intrinsèque à la pratique gouvernementale. C’est donc une limitation de fait et non plus de droit ; ces limites tiennent ainsi aux objectifs du pouvoir eux-mêmes : le pouvoir peut calculer, en fonction de ses objectifs, les limites qu’il doit respecter afin d’optimiser les moyens qui serviront ses fins. Or, pour pouvoir fixer ces limitations de façon rationnelle, pour pouvoir valider le « calcul » et fixer des critères afin d’évaluer l’action du pouvoir, il faut des principes de vérité. Cet ensemble de principes, Foucault l’appelle le régime de vérité. C’est ce régime de vérité que tente de construire l’économie-politique émergente et à sa suite les théories économiques du libéralisme.
Le libéralisme, justement, se construit sur cette idée d’autolimitation nécessaire du pouvoir politique, à partir d’une « naturalité » des objets propres de ce pouvoir (naturalité de l’économie par exemple). A ce dernier, les libéraux vont opposer la sphère économique, dans laquelle doit régner les libertés individuelles : cette économie est considérée comme suivant des lois naturelles et donc comme obéissant à des impératifs que doit respecter le pouvoir politique. C’est la politique du « laissez-faire » ; l’idée générale est de dire que le politique ne doit pas aller à l’encontre des lois économiques, car ce serait « contre-nature ». Il y a alors inversion de la logique gouvernementale du mercantilisme évoquée ci-dessus : les objectifs intérieurs du pouvoir politique deviennent limités, alors que ses objectifs extérieurs deviennent possiblement illimités. Cette pensée ouvre la porte aux pratiques impérialistes du XIXe et surtout du XXe siècle. Le libéralisme va ainsi constituer, dès le XIXe siècle, le nouveau « cadre » de la raison d’Etat, la nouvelle référence des pratiques de gouvernement, le nouveau régime de vérité.
Mais en quoi consiste ce régime de vérité ? Quel est le « lieu » dans lequel la « vérité » va se constituer ? Le libéralisme refuse de poser des principes extérieurs à la pratique gouvernementale et veut au contraire découvrir les lois qui règlent la naturalité de ses objets, ainsi, ce lieu de formation de la vérité sera le marché. Au Moyen-Age, le marché est un lieu de juridiction, un lieu où s’exerce la justice. Les réglementations commerciales prolifères, chaque ville impose ses propres limitations au commerce, mais surtout, les prix sont définis selon celui qui paraît le plus juste (et non pas selon l’offre et la demande). En effet, suivant les principes de la doctrine aristotélicienne de la justice commutative, les communautés (en général les villes) s’arrange pour que les prix des biens satisfassent tous les acteurs (producteurs, marchands, acheteurs) et le prix certaines denrées de bases, comme le blé par exemple, est fixé afin que tout le monde, même les plus pauvres, puissent y accéder. Ainsi, le marché au Moyen-Age a pour but la juste distribution des marchandises et la protection de l’acheteur, en s’assurant de l’absence de fraude (le rôle des corporations, qui contrôle les qualifications des artisans, est sur ce point prépondérant) ; d’où les innombrables réglementations qui pèsent sur l’économie.
Au XVIIIe siècle, un véritable tournant s’opère dans la conception des marchés économiques et de leur fonction dans la société : l’économie-politique va poser le marché comme un lieu de mécanismes naturels et non pas un lieu régit par les juridictions obéissant à des principes extérieurs à l’économie (comme le principe de justice par exemple). Ces mécanismes naturels sont considérés comme spontanés et comme, bien sûr, non modifiables : ce sont des « lois naturelles », au même titre que les lois de la physique. Or, ces mécanismes naturels, si on les laisse jouer, permettent la formation d’un prix : le prix naturel ou « vrai ». C’est ainsi une nouvelle façon de fixer la valeur des biens qui se dessine : au lieu de la fixer arbitrairement en fonction des besoins de tous les acteurs et de principes d’équité, le prix est censé se former spontanément, de par les mécanismes de l’économie. Les prix sont donc formés intrinsèquement à l’économie : elle peut donc s’autoréguler. L’économie devient donc un lieu autonome qui suit ses propres lois et qui permet, alors, de le considérer comme un lieu producteur de vérité. C’est cela que propose le libéralisme : de considérer le marché économique comme le lieu de production de la vérité des prix et d’une façon plus générale, des régulations économiques. Si donc l’économie s’autorégule, il faut donc que l’Etat n’intervienne pas dans cette régulation, d’où le laissez-faire.
Avant d’examiner ce qu’est le néolibéralisme pour Foucault, il devient donc possible de dresser une liste des principaux éléments du libéralisme, tel qu’il se constitue à travers l’histoire des régime de vérité des pratiques du pouvoir du XVIe siècle au XIXe :
Le néolibéralisme possède deux ancrages historiques :
L’ennemi commun de ces deux traditions d’économistes : Keynes. Sans rentrer dans les détails historiques que développe Foucault, disons que le néolibéralisme va prendre corps dans la jonction de l’ordolibéralisme allemand et des économistes libéraux américains. L’ordolibéralisme allemand se fonde pour sa part sur deux principes. D’une part, le monétarisme (dont la théorie sera en particulier développée par Friedman aux USA dans les années 50) : ainsi, le Conseil scientifique de l’administration allemande de l’économie stipule, en 1948, que « la fonction de direction du processus économique doit être assuré par le mécanisme des prix ». D’autre part, une nouvelle définition de la légitimité de l’Etat : celle-ci réside dans « l’exercice garanti d’une liberté économique ». Ainsi, l’économie produit de la souveraineté : voilà qui est parfaitement explicite et pose donc l’économie comme fondement même du pouvoir politique (et qui donc soumet de fait le politique à l’économie). La croissance économique devient le facteur d’adhésion de la population à ce système : c’est en proposant à celle-ci un niveau de vie toujours plus confortable que le système prouve son « bien » pour la population. Les ordolibéraux allemands, par ailleurs, réagissent face au constat de Max Weber qui, au début du XXe siècle, a montré comment la rationalité du capitalisme était irrationnelle. Ils cherchent ainsi à construire une nouvelle rationalité qui annulera les mécanismes irrationnels contenus dans le capitalisme. Analysant l’expérience du nazisme, les néolibéraux allemands comme américains déplacent l’opposition socialisme/capitalisme à une opposition libéralisme/toute politique économique interventionniste. Les néolibéraux soutiennent que seul le libéralisme garanti la liberté des citoyens et amalgament ainsi toutes les autres politiques économiques au despotisme… Ce qu’opère globalement le néolibéralisme, c’est un retournement rhétorique consistant à identifier tous les phénomènes jusqu’alors imputés au capitalisme (individualisation de la société, production d’une société impersonnelle, d’effets de « masse », concentration des richesses, monopoles, logiques irrationnelles, etc.) comme résultant des interventions de l’Etat. La possibilité d’une théologie négative de l’Etat présenté comme mal absolu s’ouvre alors. Foucault note ainsi que la maxime néolibérale devient la suivante : « demandons à l’économie de marché, laquelle n’a pas de défauts intrinsèques, d’être le principe, non pas de la limitation de l’Etat, mais de la régulation interne de l’Etat de bout en bout de son existence et de son action1 ». On voit bien le retournement qu’opèrent les néolibéraux par rapport à la théorie libérale classique datant du XVIIIe siècle autant que la radicalité de leur pensée : alors que le libéralisme se contentait jusqu’alors de limiter l’action politique par la sphère économique présentée comme indépendante, les néolibéraux veulent régir l’ensemble du pouvoir politique même par les principes des marchés économiques, intrinsèquement.
L’autre rupture importante qu’opèrent les néolibéraux avec le libéralisme classique concerne le principe de concurrence. Pour le libéralisme classique, la concurrence est l’état naturel de tout marché économique en dehors de l’intervention étatique. Pour les néolibéraux, au contraire, dénonçant cette « naïveté naturaliste », la concurrence est un principe de formalisation une logique interne, construite. Elle est un « jeu formel entre des inégalités »2 qui, loin d’être naturel à la société, suppose une politique indéfiniment active. Il faut donc soigneusement aménager les conditions de l’expression bénéfique de la concurrence. Foucault résume ainsi dans une belle formule la nouvelle rationalité de gouvernement néolibérale : « il faut gouverner pour le marché, plutôt qu’à cause du marché »3.
Pour Foucault donc, le néolibéralisme est une rationalité, qui cherche à rationaliser l’action politique, ce que Foucault appelle la « gouvernementalité ». Le néolibéralisme consiste à appliquer les logiques des marchés économiques à l’ensemble des sphères de la société, or, ces marchés doivent être créés, d’où la nécessité d’actions gouvernementales (essentiellement sous la forme juridique ou économique pure, comme par l’injection de monnaie dans l’économie par exemple ; « gouvernementale » n’étant pas forcément l’Etat, mais l’Union Européenne, le FMI, les banques centrales, etc.).
Les conséquences de ces grands principes logiques sont multiples et il n’est pas possible en raison de les évoquer ici (mais elles seront développées sans doute dans d’autres textes) : le monopole n’est pas un problème s’il n’influe pas sur les prix, l’objectif principal de l’action de l’Etat doit être d’assurer la stabilité des prix en luttant contre l’inflation, la politique sociale doit être individuelle (il ne s’agit pas pour la société d’assurer les risques des individus, mais simplement d’assurer les conditions qui leur permettront de gagner un salaire suffisant pour s’assurer eux-mêmes auprès d’assurances privées), centralité du principe de concurrence dans toutes les sphères de la société, etc. Ainsi, une société néolibérale n’est pas moins interventionniste que d’autres systèmes, mais l’action du pouvoir politique, au lieu de porter sur les marchés économiques, doit porter sur la société elle-même. Son objectif doit être la constitution d’un régulateur de marché général sur la société. Les mécanismes concurrentiels, à chaque instant et à chaque point de l’épaisseur du social, doivent jouer un rôle de régulateur. Le néolibéralisme est donc un véritable « gouvernement de la société », instaurant une société régulée entièrement, jusqu’aux aspects les plus intimes des individus, par le principe de concurrence et les logiques des marchés économiques. On parle ainsi d’Homo œconomicus, un nouvel être humain qui n’est plus même l’homme de l’échange tel que le concevait le libéralisme classique, mais un homme de l’entreprise et de la production. Chaque individu est un « capital », qui doit fructifier au sein de la société suivant les lois économiques. Tous les comportements des individus (de l’organisation d’une journée au choix d’un partenaire sexuel) peuvent et doivent être analysés selon les principes de l’économie et ces derniers permet d’organiser les premiers suivant les lois de l’économie de marché. Suivant cet aspect, le néolibéralisme est un processus totalisateur, qui cherche à aborder l’ensemble des aspects de la société en son sein.
L’analyse marxiste s’attache à décrire l’évolution historique des politiques et des structures économiques des 50 dernières années, montrant la domination du pouvoir économique et comment l’ensemble des politiques mises en œuvre depuis les années 80 ne cessent de favoriser les plus riches au dépends du reste de la société, accroissant de façon considérable les inégalités tout comme l’exploitation des salariés. L’approche foucaldienne s’attache à décortiquer la rationalité néolibérale résultant d’une mutation du libéralisme, prenant source dans les analyses des économistes libéraux américains, allemands et autrichiens dans les années d’après-guerre (grosso modo 1940-60). Ces deux approchent sont-elles contradictoires ? Nullement, si toutefois l’on prend garde, en marxiste de ne pas imaginer une classe dirigeante unifiée qui prendrait des décisions conscientes en fonction de ses intérêts et en foucaldien de ne pas négliger l’influence du pouvoir (et donc des positions sociales le possédant) dans les politiques mises en œuvre par les Etats.
Le néolibéralisme apparaît alors dans sa plénitude : un entrelacement entre savoir et pouvoir, fondé sur une utopie libérale qui, face à l’histoire et aux échecs terribles de l’économie de marché dans les années 30-40, « mute » dans une fuite en avant radicale qui se donne comme objectif de soumettre toutes les sphères de la société aux logiques de marché. L’histoire des 50 dernières années confirme, de par une multitude de faits que chacun peut constater au quotidien et dont l’analyse fait, d’une façon générale en tant que « société occidentale », l’objet, du moins indirect, des réflexions de l’ensemble des écrits de ce blog, la réalité d’une telle tendance historique, véritable mouvement dans l’histoire de nos sociétés et transformation de celles-ci. Mais, comme tout mouvement historique, il produit aussi un contre-courant, dans lequel ce blog se situe…
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