Le patriarcat : une domination transversale


Illustration :  Pablo Picasso, L'enlèvement des Sabines. Huile sur toile, 1962

Il s’agit pour moi d’un domaine d’exploration relativement récent, qui m’est apparu comme une problématique à part entière à travers mon expérience personnelle. C’est à partir de celle-ci, de son immédiateté sensible, que je mènerai ma réflexion, laquelle tentera de construire une perspective originale sur cette question. Ma perspective sera celle d’un homme hétérosexuel essayant de saisir comment son corps, ses désirs, son imaginaire, ses sentiments, sont traversés par ce fait social millénaire qu’est le patriarcat. Toutefois, elle tentera de saisir l’altérité qu’elle ne connaît pas et la distance que la sépare de ces expériences extérieures qui viennent la remettre en cause.

I. Une déception de plus

Mon parcours philosophique à débuté lors d’une prise de conscience majeure en 2016, dans le chaos londonien, de la puissance destructrice et mensongère de notre société capitaliste, aliénation des humains et anéantissement du vivant, qui repose sur une fausse promesse de bonheur et d’accomplissement. C’est durant l’été 2018 qu’un nouveau choc est venu m’achever : le domaine le plus intime, celui de « l’amour et du désir », îlot onirique au sein de ce monde de violence est, lui aussi, souillé par la domination. Celle-ci – la domination des hommes sur les femmes – est encore plus insidieuse que celle du capitalisme ou du modèle industriel, car elle nous pénètre au plus profond de nous-mêmes, dans la structuration profonde de notre psyché, dans nos émotions et nos sentiments. En raison de ce caractère existentiel de la domination patriarcale, elle est sans doute la plus difficile à admettre et à combattre : en effet, la remettre en cause ébranle ce qui nous apparaît comme notre part la plus « spontanée », la plus « naturelle » ou « inconsciente » en nous, « l’amour et le désir ». C’est notre subjectivation qu’il faut déconstruire, notre corps qu’il faut interroger et sa machine désirante. Représentation de soi, représentation de l’autre, son identité comme ses modes de relations, tout est à équarrir. C’est la « vérité » de notre désir et de notre affection qui se trouve mise en cause, dans un processus qui, sans une altérité, se retrouve ouvert à l’infini, sans possibilité d’un sol stable. Ainsi, au-delà de la douleur et de la confusion qu’un tel travail sur soi inflige, le processus d’émancipation de la domination patriarcale est des plus intéressant. En effet, il n’est pas de lutte plus subtile, de combat plus complexe et de questionnement plus profond qu’une telle remise en question des évidences de notre corps même. Le patriarcat met ainsi en jeu une multitude de dimensions, du corps à l’imaginaire social en passant par les normes esthétiques ou la sociabilisation, permettant d’interroger notre société suivant une richesse sans doute inégalé.

II. Une domination transversale

Le patriarcat est une domination transversale au sens où elle « traverse », « passe par », une multitude de dimensions du social autant que de la personne. On peut se le représenter comme un nœud, un point focal d’où partent une multitudes de faisceaux, venant transformer toutes les dimensions de nos vies. Ainsi, en suivant les fils de cet enchevêtrement, on est amené à interroger un nombre considérable de concepts et d’aspects de l’expérience. Je ne suis qu’au début de ce cheminement, mais j’espère ainsi pouvoir comprendre et explorer de très nombreux domaines. Je commencerai ici par dresser une petite liste non exhaustive et provisoire des principales dimensions qui me semblent traversées par la domination patriarcale ; peut-être mettra-t-elle en lumière des phénomènes que vous n’aviez pas remarqués comme liés à cette question, et ce sera là la meilleure preuve de l’ancrage profond de cette domination sociale dans nos conceptions les plus élémentaires…

La violence et le viol

On peut se demander si le viol n’est pas au cœur du patriarcat. En effet, La violence sur le corps des femmes est sans doute la conséquence la plus immédiate et la plus significative du patriarcat et celle-ci à toujours quelque chose de parent avec le viol, défini comme le franchissement du non consentement. Culture du viol, violences conjugales, agressions dans l’espace public, agressions verbales, humiliations, intimidations, etc. La liste est longue, elle n’en finit plus. La violence que subissent les femmes au quotidien est si omniprésente et conséquente qu’elle constitue, sans doute, la manifestation la plus irréfutable de la domination masculine. L’absence quasi totale de comportements tels inverses, des femmes envers les hommes est bien sûr hautement significative. La manifestation de cette violence dans presque toutes les dimensions et la diversité des relations entre les hommes et les femmes, jusque dans de petits rien insidieux qui viennent en permanence marquer et rappeler la domination est là encore un fait hautement significatif. Rien qu’en vertu de cette accumulation de faits, le patriarcat est condamnable et ne peut être défendu ; néanmoins, il faut se garder d’en faire l’unique conséquence du patriarcat sur les corps. Domination vaste et totale, le patriarcat agit de mille autres façons sur les corps des femmes…et des hommes. Toutefois, il est je crois nécessaire de placer la violence du patriarcat et tout particulièrement le viol au centre de notre analyse, à la fois comme point de départ et comme pivot central. En effet, de toute évidence la violence est la conséquence la plus directe, la plus immédiate de l’asymétrie de pouvoir propre au patriarcat et d’autre part les conséquences de cette violence irriguent toutes les autres dimensions que je décris plus bas.

L’esthétique

La dimension la plus apparente et manifeste du patriarcat est celle des normes esthétiques. La normativité la plus stricte et étroite concerne la beauté féminine : la publicité ou le corps des stars grand public donne immédiatement un bon aperçu de ce que notre société considère être comme une « belle femme » et de même, ce qu’est un « bel homme ». Ce dernier sera musclé, aujourd’hui souvent barbu (mais pas trop), viril, sûr de lui, élégant, etc. La femme sera fine mais avec des formes (fesses et seins se doivent d’atteindre une taille minimum), une bouche pulpeuse, un cou fin, etc. Bien sûr, ces normes varient en fonction des époques et des milieux sociaux et l’on peut suivre dans le détail ces évolutions. Les concours de miss par exemple donne un aperçu flagrant, presque caricatural, de l’imposition de ce genre de codes esthétiques. L’évidence et l’omniprésence de cette construction sociale des normes esthétiques est telle que je ne m’appesantirai pas plus sur cette question. En elle seule, elle n’est guère significative du patriarcat – en quoi ces normes sont-elles une domination des hommes sur les femmes si elles concernent les deux sexes? – mais, mise en relation avec les autres dimensions que j’expose à la suite, elle prend tout son sens et apparaît sous un nouveau jour.

Le genre

L’une des dimensions de la domination patriarcale les plus mises en lumière ces dernières décennies est la question du genre : la féminité et la masculinité sont définies socialement et n’échappent pas à la domination masculine. Cela se constate dans le fait qu’elles s’avèrent être construites en référence à l’homme, point fixe, point dominant, notamment dans la répartition de leurs attributs : les caractéristiques « positives » étant systématiquement assignées au genre masculin. Non seulement le genre solidifie ainsi la domination masculine, mais il enferme aussi les personnes dans ses cases, rendant impossible le fait de se vivre homme ou femme de façon différente de la norme et encore plus de sortir des deux genres, hétérosexués, ainsi posés.

La sexualité ou les plaisirs du corps

L’intimité la plus grande, la sexualité ou les « plaisirs du corps », pourrait-on dire suivant Foucault, est elle aussi traversée par le patriarcat. Ainsi en Grèce antique, patriarcat d’une grande violence, les rôles des partenaires sexuels sont assignés très clairement : à la femme le rôle passif, à l’homme le rôle actif. Il s’agit là de pratiques très concrètes, de la façon même avec laquelle est conduite le jeu sexuel pendant les ébats entre deux partenaires. C’est ce rôle et non les pratiques en elle-même qui font l’objet d’une prescription morale : ainsi, la sodomie n’est pas condamnée, en revanche, qu’un homme mature et libre se complaise dans le rôle passif du partenaire pénétré est considéré comme honteux. Pourquoi? Parce qu’en cela, il se comporte « en femme » ; il refuse son rôle de dominant et se rend indigne de la masculinité en adoptant le parti des dominées. Notons par ailleurs que c’est en rapport à la pénétration tout particulièrement que ces rôles sont assignés : ils sont donc phallocentrés, signe évident de la domination patriarcale qui pèse sur eux. Nous aurons l’occasion d’explorer cette vaste dimension que celle des plaisirs du corps et de ce que nous appelons aujourd’hui les relations sexuelles ou la sexualité. Aujourd’hui encore, bien que différemment que dans l’antiquité, elles sont percluses de contraintes patriarcales.

Le désir

A ce que nous appelons la sexualité est liée ce que la psychanalyse a identifié comme étant le désir ou la libido. La construction du désir même semble être structurée par les représentations patriarcales, du moins c’est l’une de mes hypothèses. C’est là une question des plus intéressantes, en effet, elle vient remettre en question l’une des dimensions de notre corps que nous considérons comme la plus « vraie », la plus « spontanée ». Comment, mon désir ne serait pas de moi? Voilà qui en laissera perplexe plus d’un·e, pourtant, à l’analyse, il apparaît que les constructions désirantes ne sont pas indemnes de la domination masculine. Non pas qu’elles soient entièrement conditionnées par le fait social du patriarcat, sans passer par l’expérience vécue de notre corps, mais le fait est que – je crois – elles ne peuvent pas être considérées comme « pures » ou « naturelles ». Il s’agit là d’une question très complexe, à laquelle je m’attacherai tout particulièrement et sur laquelle je suis, pour l’instant, dans la plus grande confusion…

Les relations sociales

Expérience simple : un homme sort seul dans un bar un soir sur Paris ; une femme sort seule dans un bar sur Paris. Même lieu, même heure. Je crois que je n’ai pas besoin de développer ici ce point, chacun de mes lecteur se figure bien ici toute la différence de ces deux positions. Dans une société patriarcale, nous le verrons, la relation publique entre un homme et une femme est subordonnée au rapport sexuel, à la « drague » comme on l’appelle communément. Sauf contre indication (la femme est accompagnée, la différence d’âge est suffisamment grande, l’esthétique des personnes considérées en dehors de la norme attendue, etc.), un homme qui s’adresse à une femme, une femme qui s’adresse à un homme et tout le monde s’imagine que c’est pour « chopper ». Le rapport de séduction est immédiatement présumé, le contraire étant presque anormal : tu ne projettes pas un désir? Tu es gay ou? Tu es frigide? Bref, dans les relations les plus simples, par exemple au travail, le rapport de séduction plane sur toutes les interactions entre les hommes et les femmes, seul le couple venant éventuellement mettre un arrêt aux fantasmes. Mais continuer sur cette question nous amène sur la dimension précédente, celle du « désir ».

L’espace public et la politique

Il ne faudrait pas oublier cet élément central du patriarcat, souvent relevé par la pensée critique sur le sujet. Historiquement, c’est l’une des conséquence les plus explicites du patriarcat, puisque dans l’antiquité les femmes étaient non seulement en grande partie exclues de l’espace public, mais n’avaient surtout aucuns droits politiques et juridiques. C’est l’un des premiers combats du féminisme aussi, durant les siècles qui nous précèdent. Les femmes ont dû lutter durement pour obtenir l’égalité en droit face aux hommes et rappelons qu’en France le droit de vote féminin n’existe que depuis que depuis 1944 – fait tout de même incroyable quand on y pense – et tournons ensuite nos regards sur le personnel politique d’aujourd’hui… Le chemin vers une pleine égalité dans le pouvoir politique est encore long. L’espace public, c’est aussi les possibilités concrètes de déplacement, l’accès aux lieux, l’expression à laquelle nous sommes autorisé·e·s dans ces lieux, etc. Là encore, même si la situation est variable suivant les pays, la position de femme expose encore à de nombreuses discriminations, autant qu’à de nombreuses violences. Pour ma part, je n’explorerai pas – du moins dans un premier temps – ces aspects politiques et sociaux du patriarcat, me concentrant sur les dimensions du corps.

Le corps

Toutes ces dimensions se croisent et se nouent en un point : le corps. C’est sur le corps en premier lieux que s’exerce le patriarcat, le corps des femmes comme celui des hommes. Corps qu’on opprime, corps qu’on stigmatise, corps qu’on forme, qu’on modèle, qu’on juge ; corps qui se constitue à travers un entrelacement de contraintes, corps qui se vit bientôt comme homme-dominant, comme femme-dominée, corps qui exerce ou subit la violence. Corps qui se pose comme donné, naturel, corps opaque à l’autoanalyse, qui ne laisse que si difficilement transparaître les contraintes qui l’ont conditionné, tant elles sont incorporées. Le corps c’est l’immédiateté des émotions, de la sensibilité, des pulsions. C’est aussi la puissance du désir comme la profondeur des sentiments. Ce sont toutes ces dimensions sensibles, émotives, qui sont déchirées lorsqu’on dévoile les infiltrations patriarcale qui les minent. D’où la complexité et la difficulté à déconstruire le patriarcat, tant cela touche des sensibilités très fortes de toute part, pire, des questions existentielles comme le sens, la valeur et la « vérité » du corps et de ses manifestations émotives, comme la représentation de soi aussi, son « identité », sa subjectivation. Le pouvoir qu’exerce le patriarcat sur les corps est ainsi solidement ancré, diffus et insaisissable. Ancrage idéal d’un pouvoir qui s’invisibilise dans une naturalité, le corps constitue tout autant le point de résistance essentiel au patriarcat, tout comme le point de transformation principal des individus. Ainsi, toutes les luttes contre le patriarcat passent par le corps, de la même façon que tout le pouvoir du patriarcat. Nexus, c’est sur toutes les dimensions qui le composent et le traverse que je travaillerai essentiellement pour l’instant, dans ma réflexion.

III. Une attitude face à un problème complexe

Il m’apparaît, de l’expérience qui est la mienne et de celle des personnes que j’ai eu l’occasion de rencontrer, que la domination patriarcale se perpétue par un cycle de violences et de blessures. C’est tout d’abord par la violence du viol que se perpétue le patriarcat, violence effective ou potentielle, qui même lorsqu’elle ne s’exerce pas directement sur le corps d’une femme, la contraint par sa menace diffuse. De là, toute une série de conséquences qui prennent la forme d’un réseau de contraintes s’exerçant cette fois à la fois sur les femmes mais aussi les hommes. Chacun·e est renvoyé·e à son rôle et la polarisation des deux termes de la domination ne cesse ainsi de s’accentuer. C’est par la violence que le patriarcat pose son emprise sur les corps, qu’il les contraint dès leurs plus jeunes âges et leur assigne leurs places. La violence engendrant la violence, un cycle de violences et de blessures se met en place. Le patriarcat se constitue au moyen de ce cycle, distribuant les rôles genrés par un processus de polarisation et d’élagage des singularités et se perpétue en incorporant les habitus des adultes dans les corps en devenir par une chaîne d’imitations. A cet exercice, il est évident que les hommes et les femmes ne sont pas égales·aux. Les hommes hétérosexuels ne sont jamais victimes dans leur corps et d’une façon générale ils subissent moins de violence. En revanche, ils peuvent ressentir l’oppression patriarcale par les injonctions sociales qui leur sont adressées, obligations à correspondre aux normes du genre masculin tel que défini par les sociétés patriarcale. En ce sens, ils peuvent être oppressés par le biais de femmes, qui les renvoient à leur rôle de mâle ou à leur statut de dominant. Ils peuvent aussi bien sûr subir des blessures psychologiques et sentimentales, cette dimension constituant sans doute la plus égalitaire qui soit entre les femmes et les hommes !

Le patriarcat, comme tout fait social, ensemble de normes et de représentations, ne s’applique pas qu’aux hommes ; les femmes aussi sont sous son emprise, bien que différemment. En tant que dominées, elles sont en position de prendre conscience de la domination bien plus aisément que les hommes confortablement installés dans leurs privilèges. C’est toujours à partir d’un différentiel que nous prenons conscience des choses, de la même manière que nous ne pouvons pas lire un texte écrit en lettre blanches sur une page blanche. De plus, elles sont amenées à jouer contre le pouvoir patriarcal et à développer des subjectivation alternatives, stratégies de résistance à la domination qu’elles subissent. Tout ceci explique pourquoi Deleuze et Guattari écrivent dans Mille Plateaux qu’il n’y a que des devenirs-femmes, non pas des devenirs-hommes. Ce sont des femmes – et l’histoire récente le montre bien – que vient le mouvement contre la domination patriarcale, qui reste celle des hommes sur les femmes ; il ne faut pas l’oublier (l’absence historique de tout mouvement social masculin dénonçant explicitement le patriarcat en atteste manifestement). Les hommes sont-ils réduits pour autant à un rôle historique passif? A simplement suivre une subjectivation féminine? C’est là une question ouverte mais, pour m’a part, je ne crois pas que l’on puisse distinguer entre les hommes et les femmes le différentiel d’un agent et d’un patient. Je ne crois pas que les femmes aient été jamais dans une position purement passive et soumise face aux hommes. Il résulte de cette hypothèse que la structuration actuelle du patriarcat est le résultat d’une histoire complexe, œuvre des femmes comme des hommes au sein d’un enchevêtrement de dominations et de résistances, de tentatives de captures et de déplacements. Bien évidemment, l’essentialisation du patriarcat doit trouver ici sa limite : comme toute domination sociale systémique, le patriarcat n’est pas l’œuvre d’un groupe social bien déterminé, imposant sa « volonté » à toute la société ; tout comme le capitalisme, il n’est pas l’œuvre d’un « cogito ». Les sociétés actuelles, que les rapports de pouvoir intérieurs permettent de définir comme patriarcales, ne sont pas la pure construction, unilatérale et consciente, « des hommes » seuls, de la même façon que le capitalisme n’est pas l’œuvre des bourgeois uniquement. Dans un certain sens, le patriarcat n’existe pas positivement, seul existe des sociétés patriarcales, caractérisées ainsi à partir de l’analyse des multiples dimensions que j’ai évoquées plus haut, faisant apparaître une domination systémique des hommes sur les femmes. Non de tout homme sur toute femme à tout instant, bien évidemment, les cas particuliers s’éloignant de beaucoup des grandes lignes structurelles dans une diversité de positions qu’il faut se garder de gommer par analyses grossières et simplificatrices. Face à la complexité de la domination patriarcale, qui structure indirectement un grand nombre de représentations et tout un imaginaire, il est nécessaire de faire preuve d’une grande subtilité. La perpétuation des habitus qui le constituent, notamment, est l’œuvre tant des femmes que des hommes, ne serait-ce qu’inconsciemment. Néanmoins, de la même façon que des femmes depuis longtemps s’élèvent et luttent pour transformer les corps comme les représentations, les hommes aussi peuvent lutter contre la perpétuation de l’état de choses actuel, à partir de la place qui est la leur, place qui diffère de celle des femmes et donc par des actions qui seront différentes.

Conceptuellement, la disqualification des représentations patriarcales ne pose guère de problème ; il existe en effet une seule porte de sortie à ceux qui voudraient les justifier : la naturalisation des inégalités. On disait à l’époque d’Aristote que, par nature, les hommes et les femmes diffèrent et ont donc sont légitimement assigné·e·s à des rôles sociaux différents. On dira aujourd’hui que, biologiquement, il existe des différences sexuées qui justifient les traits assignés aux genres féminin et masculin. Les hommes seront plus « rationnels », les femmes plus « émotives », donc moins aptes à gouverner… Tout s’enchaîne si bien dans cette vielle rhétorique qui ne change guère depuis 2500 ans, derrière les rhabillements de façade. Ce raisonnement est pourtant aisément réfuté, par la simple mise en lumière de son caractère relatif. Certes, il existe des différences biologiques et psychiques entre les hommes et les femmes, mais sont-elles « de nature » ou de résultat de la socialisation au sein de société patriarcales? Une question à laquelle l’approche « naturaliste » ne peut en rien répondre. Deux perspectives s’opposent, postulats ne possédant pas aujourd’hui de fondements irréfutables : pour l’un, les phénomènes que nous constatons, les inégalités que nous observons trouvent leur raison dans une naturalité et des caractéristiques biologiques attachées à la vingt-troisième paire de chromosome ; pour l’autre, ils sont le résultat d’une histoire et de trajectoires culturelles propres à chaque société. Bien qu’une certitude absolue ne soit pas aujourd’hui possible, il apparaît néanmoins, lorsqu’on regarde les choses dans le détail, que le second point de vue est infiniment plus puissant que le premier, lequel n’explique les choses qu’en gommant une part considérable de l’expérience. C’est en condamnant une énorme partie des faits comme « anormaux » et « déviants » que le paradigme de la naturalité des genres arrive à se maintenir. Toute analyse détaillée des processus de formation du moi et des structures sociales fait apparaître sa vacuité.

Peut-on pour autant « se débarrasser » purement et simplement du patriarcat et des représentations qu’il charrie? C’est là une affirmation absurde car on ne peut être extérieur à ce qui nous constitue. Lorsqu’on imagine, lorsqu’on crée un devenir, on ne peut que s’appuyer sur le monde qui nous à fait naître, que se mouvoir à partir de la position originale qui est la nôtre. Un tel constat qui peut apparaître comme fataliste ne signifie nullement que l’on soit condamné à la « réaction », bien au contraire. Il faut libérer les imaginaires pour libérer les possibles, sans nul doute, mais la conséquence immédiate d’une diversification des lignes de devenirs au sein d’une société est de rendre indispensable la communication, l’échange et le partage, dans la relation. En effet, le monde social fonctionne comme un ensemble de comportements préconçus, intériorisés : les habitus. Lorsque des groupes sociaux ou des personnes évoluent et se transforment, ils deviennent « incompréhensibles » pour les autres. Seule la parole permet de retrouver des relations sociales saines, car elle seule permet de se réadapter aux autres et de tisser avec eux des liens qui sinon restent impossibles. C’est sans doute du fait d’un manque flagrant de communication entre les personnes que les relations hétérosexuelles sont aujourd’hui si difficiles dans notre société. Et elles le sont d’autant plus dans les groupes sociaux présentant la plus grande diversité et hétérogénéité par rapport à la norme générale, encore bien présente. Là encore, le cycle de blessures et de violence se réenclenche : plus on s’éloigne de la norme, plus on subit de blessures, plus il est difficile de s’accorder avec les autres et de vivre des relations saines. Double condamnation et comble de la perversité : la domination, la norme de la violence, apparaît confortable et sécurisante… Il est ainsi de notre responsabilité, à ceux qui veulent transformer le monde et se transformer soi-même, de prendre en compte la conséquence de nos luttes et d’en tenir compte, non pas pour renoncer à nos idéaux, mais pour aller plus loin encore, vers un horizon de réconciliation…

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