Qui fera la transition écologique?

Le lieu et le monde

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Illustration :  Cultures Permanentes © http://www.cultures-permanentes.com/

Qui fera la transition écologique ? Les stratèges de chambre révolutionnaires s’écharpent : les un·e·s veulent capturer l’État, les autres des ZAD partout, là des pétitions et des manifs, ici des chaînes YouTube et des blogs, certain·e·s misent sur l’économie sociale et solidaire, d’autres sur les entrepreneurs, les cabinets d’architectes ou les designers… Surtout, surtout, l’opposition essentielle, élément de discorde, est celle de « l’individu » contre « les systèmes ». Reproduisant un vieux débat de la sociologie, cette dichotomie oppose les petits gestes des « colibris » aux puissants : multinationales, capitalistes, États, quand ce n’est pas à des systèmes impersonnels, infrastructures techniques ou flux économiques. Qu’on le veuille ou non, pourtant, les oléoducs ont tous été construits par des « petites mains », des ouvrier·ère·s bossant sous le cagnard et des ingénieur·e·s pas si sûr d’eux·elles qui doivent réviser les plans une fois face au terrain. C’est une chose qui m’avait fortement frappée, lorsque j’habitais à Londres. Les grands gratte-ciels de la City, ces temples de la richesse et de la puissance, tout entiers fonctionnaient et avaient été construit par le travail minuscule et laborieux d’émigré·e·s sous-payé·e·s. Toute cette belle puissance, cette modernité, ne reposait en fin de compte que sur ce travail de fourmi quotidien, réalisé par les mains d’hommes et de femmes non qualifiées. Et pourtant, ces hommes et ces femmes, qui pouvait prétendre qu’ils étaient libres ? Ils étaient soumis bien évidemment à cette ville qu’ils ne connaissaient pas, qui était étrangère à tous les humains qui la peuplaient, qui n’était qu’une grande machine dans laquelle circulait un sang humain. Un vortex, dont le but était d’aspirer les énergies humaines pour édifier sur cette souffrance la gloire des dominants. Gloire par ailleurs bien vide, bien « cheap »… Les structures ne reposaient que sur les fourmis humaines, pourtant, elles les dominaient. Et d’un autre côté, leur domination ne s’étendait pas au-delà de leur réseau. Comment aurait-elle pu ? La réalité infernale de Londres n’était qu’un mauvais rêve, lorsqu’on s’était échappé. Et il n’était guère difficile de s’en évader : la cité n’avait pas de portes, pas même de murailles. Elle n’était qu’un aimant : elle attirait à elle, elle piégeait dans son champ magnétique, elle fascinait ou épuisait, mais elle n’enfermait pas. Là était le jeu ? libre, pas libre ? Qui aurait pu le dire… Ce qui était certain, c’est que beaucoup d’individus pouvaient sortir du jeu, s’ils le voulaient vraiment. D’un autre côté, l’infrastructure avait en permanence besoin d’une nouvelle main d’œuvre, à mesure que s’écoulait l’ancienne. Sa principale activité, au fond, consistait à attirer comme un phare les lucioles pauvres d’ailleurs, leur faisant miroiter richesse et renommée. Une vie excitante, aussi. Les lucioles s’approchaient et se brûlaient les ailes, lorsqu’elles ne perdaient pas leur âme… Mais où était la puissance ? La question me hantait et me hante encore. J’avais vu l’envers du décors, les pieds d’argiles du géant et j’en conclus que la puissance n’était pas dans le phare, là où on l’a pensait. Où se situe cette puissance ? Où est la force qui attire, le générateur du magnétisme irrésistible de la mégalopole londonienne ? Fixer son regard sur la lumière hypnotisante du phare, s’était se fourvoyer, comme les lucioles…

Les petites lucioles ouvrières pensaient désirer la lumière du phare, elles croyaient qu’il était puissant et satisferait leurs désirs. Elles ne savaient pas qu’elles étaient poussées par elles-mêmes, ou plus exactement, par un désir qui naissait en elle, structuré par le lieu où elles été nées et avaient vécues. Les autres, celles qui n’étaient pas poussées par le désir, mais qui venaient sous la contrainte, poussées par la misère, l’étaient tout autant par leurs lieux à elles. Aussi, il apparaissait que le phare n’était que mirage. Il était vide. Ce n’était pas lui qui attirait de sa puissance les lucioles, mais c’était les lieux d’origine de celles-ci qui les poussaient vers lui. Ces lieux faisaient naître soit des désirs, soit des désespoirs et le phare, dans ce nuage confus, apparaissait comme la promesse résignée d’un possible salut. Ce n’était donc pas le lieu où agir, dans cette grande cité. Il n’y avait a y faire qu’accueillir les émigré·e·s harassé·e·s, pour les aider à vivre. Pour tarir le flux, pour tarir la puissance de la ville, il fallait aller ailleurs : aux sources. Sources des flux humains, sources de la puissance diffuse du capital. Il fallait aller dans ces lieux déshérités, ces lieux aux dires de tous, marginaux et vides, faibles et mourants, ces lieux de « losers ». C’est de là, pourtant, que venait la puissance des titans. Sans ce terreau fertile, sans ce socle favorable, sans cette fine topologie qui guidait les flux humains vers les bouches affamées capitalistes, toute cette belle puissance dévoilerait sa véritable nature : le néant.

C’était donc des insignifiants villages des lucioles que viendrait la chute des géants. Non pas que les lucioles viendraient prendre ces derniers d’assaut ! Non, elles iraient plutôt ailleurs, s’en détourneraient. Privé de son sang, le géant ne pourrait longtemps survivre. Il devrait se mettre à genou, supplier, vendre son or !

Mais les lucioles étaient alors devenues occupées à autre chose. Elles s’activaient sur leurs terres à bâtir leurs petits mondes, un monde dispersé. Elles étaient trop occupées pour tourner la tête vers le géant, qui mourut d’inanition…

Voilà une fable qui finit bien. Ne pourrait-elle pas être une esquisse d’un futur heureux ? Un futur dans lequel les lucioles seraient suffisamment matures et sages pour résister aux leurres ? Un futur où un nouveau monde se répandrait tel les graines dispersées au vent ? Un futur qui monterait de la terre par capillarité et infuserait mille pratiques, mille lieux, mille chemins ? Pourquoi vouloir diminuer cette puissance, en cherchant à réduire à une seule fibre ? Laisser aller les flux, du moment qu’ils vont dans la bonne direction : voilà tout l’art qui fut celui du capitalisme, qui courba l’espace-temps à son avantage. Il fut trou noir, soyons centrifuges. Soyons comme lui dispersés et multiples. Prenons le long chemin, plutôt que la droite ligne vers le phare vide. Le long chemin qui passe par la multiplicité du monde pour venir susciter, partout, chacun·e selon son lieu, le dessin d’une même harmonie. Articuler avec les besoins de chacun·e son plan d’ensemble, voilà le besoin de l’écologie. Comme il y a eu des produits de consommation pour tous les goûts, il faut une écologie pour tous les modes de vie. Urbains, ruraux, riches, pauvres, d’ici ou là-bas, l’écologie doit proposer à chacune et chacun un mode de vie propre qui l’oriente malgré cette singularité dans une même direction commune. Restructurer le regard, la direction qui oriente les pratiques, non pas imposer des solutions standardisées, théorisées d’en haut, appliquées ensuite à grande échelle. Contre les champs bien alignés et tous identiques du monde capitaliste, faisons grandir une diffusion écologique essaimant comme ces herbes, dites mauvaises, qui se refusent à mourir…

 

A.A.

 

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